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« Secrets de famille : La Menace ADN »

Le 09 février 2016
« Secrets de famille : La Menace ADN »
(Société - 10 mai 2009)

"Mater certissima, pater semper incertus" ("si la mère est très certaine, le père est toujours incertain") décrétait l'antique droit romain, à l'origine de la paternité juridique. C'était compter sans la révolution génétique et le développement des tests de paternité.
Ces tests permettent aujourd'hui d'établir une filiation biologique avec une fiabilité presque totale.

La revue scientifique The Lancet a lancé un retentissant pavé dans la mare en affirmant qu'un enfant sur 30 ne serait pas de son père déclaré. Les chercheurs, qui étudiaient la transmission des maladies génétiques sur plusieurs générations, avaient expliqué avoir dû écarter jusqu'à 10% de leurs échantillons en raison des discordances de filiation. Le décryptage du génome plus fort que les secrets de famille? Le "grand secret des femmes", qui depuis la nuit des temps leur permet de rester discrètes sur l'identité du père biologique, risque de tomber.

"Le père est toujours celui que désigne la mère", disait Françoise Dolto. Demain l'ADN? "C'est un outil très puissant mais à double tranchant qui va complètement à l'encontre de la philosophie française, prévient Geneviève Delaisi de Parseval, puisque notre paternité n'est pas entièrement fondée sur la génétique." Si chacun devrait pouvoir prendre connaissance de ses origines biologiques, "cela ne doit pas être n'importe quand, n'importe comment, et sûrement pas par Internet", estime l'auteur de La Part du père (Essais Points).
Pour elle, ce n'est pas "le grand secret des femmes" qui tombe mais la vulnérabilité des hommes qui éclate au grand jour. "La paternité est encore fragilisée. Lorsque c'était encore une institution, la question n'était pas de savoir si le père légal était le père biologique: il avait le pouvoir", insiste la chercheuse en sciences humaines et spécialiste de bioéthique. Depuis la révolution contraceptive, ce sont les femmes qui ont pris le pouvoir."

3 300 affaires de contestations de paternité en 2007
Une chose est sûre, les progrès de la génétique ont boosté le recours à la science pour déterminer la filiation. Sans parler du développement d'Internet, qui, en trois clics et contre quelques centaines d'euros, rend accessibles à tous ces tests génétiques. Et place la France dans une situation ubuesque. Notre pays est en effet un des rares à s'être doté d'un texte juridique pour encadrer ces tests par le biais des lois de bioéthique dès 1994. Ici, ils sont interdits s'ils ne sont pas diligentés par un juge ou s'ils ne s'inscrivent pas dans une démarche médicale. Le contrevenant encourt un an de prison et 1 500 euros d'amende.

Interrogée par le JDD, la chancellerie n'a pas trouvé trace d'une seule procédure. Pourtant plusieurs milliers de Français(e) s, 10 à 20 000 selon les estimations du PDG de l'Institut génétique Nantes Atlantique, le professeur Jean-Paul Moisan, font analyser chaque année leurs prélèvements de salive par des laboratoires étrangers (Espagne, Belgique, Suisse, Grande-Bretagne, Allemagne, Roumainie, Australie, Etats-Unis?). Dans le même temps, 1 300 à 1 500 tests sont pratiqués dans le cadre de la loi chaque année en France pour quelque 3 300 affaires de contestations de paternité en 2007, selon le ministère de la Justice.

Le Conseil d'Etat ne veut rien changer
Qui sont ces consommateurs de tests de paternité? En premier lieu des femmes qui veulent obliger le géniteur de leur enfant à les aider financièrement. Viennent ensuite des pères qui ne veulent plus assumer une paternité qu'ils réfutent ("C'est fréquent au moment d'un remariage, par exemple", rapporte un expert). Des mamans qui veulent évincer un compagnon de son rôle de père. Mais aussi des enfants qui, à leur majorité, veulent connaître leur père biologique, pas seulement dans un contexte d'héritage. Sans parler des cas de fratries séparées par les aléas de la vie. Ou, cas plus anecdotique, un couple qui, avant de se marier, s'interroge sur une possible infidélité du père de l'un avec la mère de l'autre ?

Sollicité dans le cadre du réexamen des lois de bioéthique, le Conseil d'Etat a décidé cette semaine qu'il ne fallait rien changer. Non à tout ce qui pourrait mener à une dérive vers une "biologisation" de la filiation! Et surtout pas question de bouleverser le régime français de la filiation ancré dans le souci de la préservation de la "paix des familles". Un choix que soutient le professeur Philippe Rouger, directeur général de l'Institut national de la transfusion sanguine (INTS), qui revendique 17 000 tests de paternité en vingt-trois ans d'activité. "La position française est peut-être rigide, conservatrice, mais elle a fait le choix, en protégeant l'enfant, de favoriser les intérêts collectifs sur les intérêts particuliers".


"Avec Internet, la loi est complètement détournée"
"La procédure française est très bien faite pour les pères qui se dérobent, insiste Me Laurence Mayer, avocate spécialisée dans le droit de la famille, mais elle est d'une lourdeur et d'une rigidité incroyables. Prenez l'exemple d'une de mes clientes. Elle a eu un enfant mais il y a deux pères potentiels. Plutôt que d'engager une action contre les deux, elle a réalisé un test à l'étranger à l'insu des deux hommes, ce qui lui a permis de savoir qui est le vrai papa avant d'engager maintenant une action en justice en France devant un juge. Pourquoi la France n'autorise-t-elle pas, sans remettre en cause le rôle et l'autorité du juge, des labos français, sûrs et contrôlés, à pratiquer ces tests ne serait-ce que pour éviter à tous ces gens de se faire arnaquer à l'étranger?"

"Je suis effaré, se désole le professeur Moisan. Les gens du Conseil d'Etat sont en décalage avec la réalité. Avec Internet, la loi est complètement détournée. Ça me fait penser à ce qui se passait avant la loi sur l'interruption volontaire de grossesse et à toutes ces femmes qui partaient avorter en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas?"

Stéphane JOAHNY et Christel de TADDEO - Le Journal du Dimanche

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