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Nullité de mariage : encore la question de la virginité :

Le 08 mars 2010

Le Tribunal de grande instance de Lille avait le 1er avril 2008, prononcé la nullité du mariage pour cause de non-virginité.

 

Décision très médiatisée qui avait entraîné un fort tollé parmi de nombreuses personnalités qui avaient estimé notamment que cette décision ne respectait pas l’égalité des sexes.

 

 

Cette décision vient d’être infirmée par la Cour d’appel de Douai, le 17 novembre 2008, la Cour d’appel ayant jugé à l’inverse du Tribunal qu’il ne s’agirait pas là d’une cause de nullité.

 

Cette décision est à mon sens hautement contestable.

 

 

Il est vrai que le mensonge sur la virginité ne peut pas être une cause de nullité, du fait que le mensonge constitue un dol et que le dol n’est pas une cause de nullité au regard de l’article 180 du Code civil.

 

C’est d’ailleurs l’adage bien connu de Loisel « en mariage trompe qui peut ».

 

 

Cependant, la nullité du mariage pouvait (et aurait dû) être prononcée sur un autre terrain, celui de l’erreur sur une qualité essentielle de la personne.

 

Cette erreur sur une qualité essentielle de la personne avait consisté en l’espèce, pour le conjoint à épouser une femme qui n’était pas vierge et il est bien certain que pour lui, s’il avait connu cet élément, il n’aurait pas contracté mariage.

 

En effet, ainsi que je l’avais indiqué lors mon commentaire relatif au jugement précité du Tribunal de Lille, les « qualités essentielles » d'un conjoint peuvent être appréciées de deux manières : in abstracto ou in concreto.

 

L'appréciation in abstracto, c'est-à-dire l'appréciation objective, consiste à apprécier les « qualités essentielles » que l'on peut attendre d'un « conjoint-type », d'un « conjoint-modèle » ; et naturellement l'idée que l'on peut se faire de ce « conjoint-type », de ce « conjoint-modèle » peut varier en fonction de l'évolution des mœurs.

 

L'autre méthode est l'appréciation in concreto, c'est-à-dire non plus l'appréciation du conjoint, par rapport à un modèle standard en général, mais par rapport au cas d'espèce, à l'idée subjective de la qualité essentielle en cause que se faisait le conjoint qui contractait mariage.

 

Le Tribunal de Lille avait incontestablement choisi cette seconde interprétation et avait apprécié in concreto la qualité essentielle en cause.

En l'espèce, il s'agissait de musulmans, pour qui la virginité de la jeune épousée est encore une qualité essentielle.

Pour le marié, s'il avait su que la jeune fille n'était pas vierge, il n'aurait pas contracté mariage, pour lui cette question de virginité était déterminante.

 

Il est manifeste au contraire que la Cour d’appel de Douai a opté au contraire pour une appréciation in abstracto pure et dure.

C'est-à-dire, qu’elle a dû considérer, que vu l’évolution des mœurs, la virginité n’est pas du tout une condition que peut raisonnablement de nos jours espérer un conjoint.

 

Cette question de virginité pourrait d'ailleurs se poser de la même manière chez certains catholiques : n'oublions pas que l'Eglise catholique prohibe les relations sexuelles avant le mariage.

L'annulation pourrait de la même manière être demandée au Juge par un catholique convaincu, à la condition qu'il rapporte la preuve de croyances et de pratiques religieuses certaines.

Un autre exemple d'erreur sur les qualités essentielles : la qualité de divorcé.

Alors que si la qualité de divorcé n'est pas contraire à l'institution du mariage, son ignorance a été jugée comme déterminante du consentement du demandeur catholique, du fait de ses convictions religieuses (Cass Civ1 12 déc 1997 dt famille 1998, com 35).

 

 

Ainsi, au regard de l'article 180 du Code civil, pour apprécier l'erreur sur les « qualités essentielles », il faut incontestablement rechercher si pour le demandeur (et non pas pour un conjoint standard) si la qualité en cause était ou non déterminante, c'est-à-dire s'il aurait ou non contracté le mariage s'il avait su que la personne n'avait pas ladite qualité.

 

J’avais estimé à mon sens, que c'est à tort que pour critiquer la décision du Tribunal de Lille, le concept de laïcité avait été brandi.

Le mariage est par essence une sphère intime où la laïcité n'y a pas sa place.

 

La Convention Européenne des Droits de l'Homme dans son article 12 protège la liberté de se marier, et naturellement ce mariage doit être libre et librement consenti.

Lorsqu'il y a erreur sur une des « qualités essentielles », le mariage n'est plus librement consenti.

En l'espèce, l'erreur sur la virginité faisait que le mariage n'avait pas été librement consenti.

 

Ce que l'on a reproché au premier Juge, était donc en vérité l'appréciation in concreto du litige : de n’avoir pas apprécié la « qualité essentielle », au regard d'un « conjoint-type » et d’avoir pris en considération le contexte.

Au contraire, au regard du « conjoint-type », la Cour d’appel a dû estimer que la virginité de nos jours, n'est pas ou n'est plus une « qualité essentielle », compte tenu notamment de l'évolution des mœurs et de l'égalité homme femme.

 

Cette position semble dangereuse, comme constituant une immixtion intolérable dans la sphère par essence privée du mariage, du libre choix du conjoint, du grand principe selon lequel le consentement donné au mariage doit être libre.

 

Une telle appréciation in abstacto au lieu d'une appréciation in concreto qui est garante du consentement donné est indigne de la patrie des Droits de l'Homme.

 

C'est la raison pour laquelle, d'un point de vue purement juridique, habituée à ce contentieux de l'annulation (d’habitude la Cour de Douai rend des décisions parfaitement justes), j’estime cette décision critiquable.

Mais la justice n’a peut-être pas dit son dernier mot, l’affaire sera peut-être à suivre, devant la Cour de cassation.

 

 

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