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Filiation : transcription du lien de filiation de la mère d’intention

Le 05 octobre 2019
Filiation : transcription du lien de filiation de la mère d’intention
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans la célèbre affaire Menesson, vient d'admettre la transcription à l'état civil français de la mère d'intention, alors que les jumelles étaient nées par un contrat de gestation pour autrui ( mère porteuse)

Dans la célèbre affaire Menesson, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient en matière de filiation,  de rendre une décision très attendue et « révolutionnaire » marquant une nouvelle avancée: la transcription à l’Etat civil français de la mère d’intention.

 

En droit français, contrairement à certains autres pays européens ou non européens, le contrat de gestation pour autrui (mère porteuse) est prohibé, (article 16-7 du Code civil) du fait de  l’indisponibilité du corps humain et de l’interdiction de faire commerce de son corps.

Quid des français qui se rendaient à l’étranger pour donner naissance à des enfants par l’intermédiaire d’une mère porteuse, en signant un contrat de gestation pour autrui ?

La Cour de cassation, dans son arrêt du 17 décembre 2008 (Cass, Civ1, Civ., 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-20.468) avait considéré que la conclusion d'une convention de gestation pour autrui était en contrariété avec la conception française de l'ordre public international français ce qui rendait impossible la transcription sur les registres de l'état civil français d'un jugement étranger établissant la filiation d'un enfant né d'une convention de gestation pour autrui réalisée à l'étranger.

La  Cour européenne, dans son arrêt du 26 juin 2014,  a condamné la position  Française : violation du droit de l’enfant au respect de sa vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention.

Depuis cette condamnation, la jurisprudence de la Cour de cassation a beaucoup évolué. Désormais la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger est possible pour le père biologique. L’interdiction de transcription d’un enfant demeurait néanmoins s’agissant d’un enfant né d’une mère porteuse, en ce qu’elle désigne la mère d’intention en vertu de la règle “Mater semper certa est ».

La Mère d’intention pourra faire établir le lien de filiation en ayant recours à l’adoption (Cass, Civ1, 5 juillet 2017, pourvoi n)16-16901 ; 16-50025).

Suite à l’avis consultatif posé par la Cour de cassation à la Cour européenne des droits de l’Homme, l’Assemblée plénière vient de rendre une décision, autorisant la transcription à l’état civil de la mère d’intention, malgré le contrat de gestation pour autrui conclu à l’étranger.

La Cour de cassation s’est fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant et la possession d’état de l’enfant. Et en vue d’une bonne administration de la justice, il convenait de clore un litige vieux de 15 ans, les enfants jumelles ayant aujourd’hui 19 ans.

"III. EXAMEN DU MOYEN

Vu l’article 55 de la Constitution :

Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant :

Vu l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 avril 2019 :

4. Dans son avis consultatif, la Cour européenne des droits de l’homme énonce que chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (§ 38). Or, l’absence de reconnaissance du lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention a des conséquences négatives sur plusieurs aspects du droit de l’enfant au respect de la vie privée (§ 40). Au vu de ces éléments et du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend aussi l’identification, en droit, des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, de satisfaire à ses besoins et d’assurer son bien-être, ainsi que la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable, la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise (§ 42). Selon la Cour, il va de soi que ces conditions doivent inclure une appréciation par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant à la lumière des circonstances de la cause (§ 54).

5. Dès lors, la Cour européenne des droits de l’homme est d’avis que “dans la situation où, comme dans l’hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne :/ 1. Le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la “mère légale” ; / 2. Le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en oeuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant”.

6. Il se déduit ainsi de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’Etat étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé.

7. Pour annuler la transcription sur les registres du service d’état civil de Nantes des actes de naissance établis dans le comté de San Diego (Californie) et désignant M. et Mme X... en qualité de père et mère des enfants A... et B... X..., l’arrêt retient que ces actes ont été établis sur le fondement de l’arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l’Etat de Californie qui a déclaré M. C... X..., père génétique et Mme D... Z..., “mère légale de tout enfant qui naîtrait de Mme E... entre le 15 août 2000 et le 15 décembre 2000". Il ajoute que c’est à la suite d’une convention de gestation pour autrui que Mme E... a donné naissance à deux enfants qui sont issus des gamètes de M. X... et d’une tierce personne, enfants qui ont été remis à M. et Mme X.... Dès lors que toute convention portant sur la procréation ou sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle en vertu de l’article 16-7 du code civil, il conclut que l’arrêt de la Cour supérieure de l’Etat de Californie, en ce qu’il a validé indirectement une gestation pour autrui, est en contrariété avec la conception française de l’ordre public international.

8. En statuant ainsi, par des motifs fondés sur l’existence d’une convention de gestation pour autrui à l’origine de la naissance des enfants, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

9. En application de l’article L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et de l’article 627 du code de procédure civile, la Cour de cassation peut, en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie.

IV. RÈGLEMENT AU FOND

Sur la recevabilité de l’action du ministère public

10. Il résulte de l’article 423 du code de procédure civile que le ministère public peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci. Le jugement déféré doit donc être infirmé.

Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription

Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription de l’acte de naissance des enfants à l’égard du père biologique

11. Il résulte de ce qui a été dit aux paragraphes 4, 5 et 6 que l’acte de naissance doit être transcrit en ce qui concerne la filiation paternelle biologique. En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que l’arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l’Etat de Californie a déclaré M. C... X..., père génétique des deux enfants, qui sont issues des gamètes de ce dernier et d’une tierce personne. Il convient, en conséquence, de rejeter la demande formée par le procureur général près la cour d’appel de Paris en annulation de la transcription des actes de naissance de A... et B... X... en ce qu’elles sont nées de M. C... X....

Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription de l’acte de naissance à l’égard de Mme X..., mère d’intention des deux enfants, et sur les demandes de Mmes A... et B... X...

12. Il résulte de l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme que, s’agissant de la mère d’intention, les Etats parties ne sont pas tenus d’opter pour la transcription des actes de naissance légalement établis à l’étranger (§ 50). En effet, il n’y a pas de consensus européen sur cette question. Lorsque l’établissement ou la reconnaissance du lien entre l’enfant et le parent d’intention est possible, leurs modalités varient d’un Etat à l’autre. Il en résulte que, selon la Cour, le choix des moyens à mettre en oeuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombe dans la marge d’appréciation des Etats (§ 51).

13. Selon l’avis consultatif, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise, ces conditions devant inclure une appréciation in concreto par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 52 et 54).

14. En droit français, en application de l’article 310-1 du code civil, la filiation est légalement établie par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire, ou par la possession d’état constatée par un acte de notoriété. Elle peut l’être aussi par un jugement. Par ailleurs, la filiation peut être également établie, dans les conditions du titre VIII du code civil, par l’adoption, qu’elle soit plénière ou simple.

15. En considération de l’existence de ces modes d’établissement de la filiation, la 1re chambre civile de la Cour de cassation, par quatre arrêts du 5 juillet 2017 (1re Civ., 5 juillet 2017, pourvois n° 15-28.597, Bull. 2017, I, n° 163, n° 16-16.901 et n° 16-50.025, Bull. 2017, I, n° 164, n° 16-16.455, Bull. 2017, I, n° 165 ) a jugé que l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, épouse du père biologique. Selon l’avis consultatif, l’adoption répond notamment aux exigences de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que ses modalités permettent une décision rapide, de manière à éviter que l’enfant soit maintenu longtemps dans l’incertitude juridique quant à ce lien, le juge devant tenir compte de la situation fragilisée des enfants tant que la procédure est pendante.

16. Etant rappelé qu’en droit français, les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui sont nulles, la Cour de cassation retient, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il convient de privilégier tout mode d’établissement de la filiation permettant au juge de contrôler notamment la validité de l’acte ou du jugement d’état civil étranger au regard de la loi du lieu de son établissement, et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant.

17. En l’espèce, le prononcé d’une adoption suppose l’introduction d’une nouvelle instance à l’initiative de Mme D... X.... En effet, en application des dispositions du titre VIII du code civil, l’adoption ne peut être demandée que par l’adoptant, l’adopté devant seulement y consentir personnellement s’il a plus de treize ans. Le renvoi des consorts X... à recourir à la procédure d’adoption, alors que l’acte de naissance des deux filles a été établi en Californie, dans un cadre légal, conformément au droit de cet Etat, après l’intervention d’un juge, la Cour supérieure de l’Etat de Californie, qui a déclaré M. C... X..., père génétique et Mme D... X..., “mère légale” des enfants, aurait, au regard du temps écoulé depuis la concrétisation du lien entre les enfants et la mère d’intention, des conséquences manifestement excessives en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée de Mmes A... et B... X....

18. Selon les requérantes, la concrétisation du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention évoquée par la Cour européenne dans son avis consultatif pourrait trouver une traduction en droit interne français avec la possession d’état qui, en application de l’article 311-1 du code civil, s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. Cependant, l’avis consultatif insiste sur la nécessité de ne pas fragiliser la situation de l’enfant dès lors que la gestation pour autrui a été réalisée dans les conditions légales du pays étranger et que le lien avec la mère d’intention s’est concrétisé. A cet égard, la reconnaissance du lien de filiation par la constatation de la possession d’état dans l’acte de notoriété établi le 11 mai 2018 par le juge d’instance de Charenton-le-Pont, à supposer que les conditions légales en soient réunies, ne présente pas les garanties de sécurité juridique suffisantes dès lors qu’un tel lien de filiation peut être contesté en application de l’article 335 du code civil. Par conséquent, la demande formée par Mmes A... et B... X... tendant à faire constater le fait juridique reconnu dans l’acte de notoriété établi le 11 mai 2018 par le juge d’instance de Charenton-le-Pont sera rejetée.

19. Il résulte de ce qui précède, qu’en l’espèce, s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans, en l’absence d’autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de Mmes A... et B... X... consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et alors qu’il y a lieu de mettre fin à cette atteinte, la transcription sur les registres de l’état civil de Nantes des actes de naissance établis à l’étranger de A... et B... X... ne saurait être annulée ».

( Cass, Assemblée plénière,  4 octobre 2019, pourvoi n°10-19.053)

 

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